Homélie prononcée lors de la messe des funérailles de Claire-Émérentienne, le vendredi 30 mai 2014, dans l’église Saint-Joseph du Pont du Las, à Toulon. C’était le lendemain de la fête de l’Ascension.
La souffrance s’est invitée violemment dans la nuit de vendredi à samedi dernier. EIle a dressé sa tente et ses piquets se sont plantés douloureusement dans votre chair, Jacques, Marie-Hélène et vous, frères et sœur de Claire. Devant l’horreur de la mort de son ami, Jésus pleura. Il y a un temps pour gémir et ce temps est venu, et reviendra aussi dans les semaines qui s’annoncent, un temps que cette séparation d’avec Claire-Émérentienne rendra lourd et vous aurez besoin de mobiliser toute votre foi pour que dans vos pleurs et la douleur de son absence jaillisse aussi, en son temps, comme une aurore inattendue, le don que par elle Dieu veut vous faire, elle dont la joie était, sans doute, la caractéristique première.
Et même si le désir de faire de cette célébration une confession de la victoire du Ressuscité sur la mort, il faut aussi présenter à cet autel où Jésus s’offre comme victime, la souffrance de I’amour. Pourquoi la souffrance est-elle aussi aiguë ? Précisément parce que l’amour qu’elle a reçu a libéré en Claire sa vocation spécifique à la joie.
Elle, petite enfant abandonnée, de 2 kg 600 grammes, à six mois de vie, reçut tant d’amour de la part de chaque membre de sa famille qu’elle est devenue celle que nous avons connue, espiègle, joyeuse, vivante, maline et si délicate dans sa perception de la souffrance des autres.
Non pas qu’elle fut une enfant gâtée. Elle n’aurait pas été si joyeuse. L’éducation exigeante qu’elle reçut développa au maximum ses possibilités humaines. Elle n’était pas sans regimber contre l’aiguillon d’une volonté maternelle qui sut la faire grandir de telle manière qu’on vit s’épanouir une fleur étonnamment joyeuse, acquérant une autonomie qui lui faisait gagner sa vie et faire des chèques généreux pour qui en avait besoin, utiliser internet et se jouer des transports en commun pour aller là où elle voulait.
C’est vrai qu’elle fut dotée en naissant d’une nature combative. Elle s’accrochait et ne lâchait rien pour apprendre à peindre, à danser, à monter à cheval. Son obstination lui faisait vaincre bien des obstacles et lui permit d’entrer dans la Communauté de l’Emmanuel. Elle ne voulut pas baisser les bras quand les leçons d’orthophonie furent laborieuses. Elle voulait assumer des responsabilités comme son service des Amies de Marie à la Beaucaire et elle y réussissait. Sa ténacité lui permettait de lutter contre elle-même. Rendre un service régulier comme débarrasser la table lui coûtait. EIle dira en janvier 2014 : « J’essaie de rendre service à la maison et de le faire avec cœur ».
Mais ce qui est pour moi source d’émerveillement et d’action de grâce, c’est de voir combien la qualité de l’amour reçu lui a permis d’accomplir un chemin de maturité humaine et spirituelle. Vous qui la connaissiez, vous savez combien elle pouvait être exubérante dans ses démonstrations affectives. Comment n’y pas reconnaître l’angoisse inconsciente d’être à nouveau abandonnée ?
Les dernières semaines de sa vie montrèrent cette prise de conscience et le travail douloureux qu’elle fit sur elle-même pour se retenir. « J’ai compris qu’il ne fallait pas que je colle mes amis car Dieu est premier, même avant les prêtres ».
Sans doute ne savez-vous pas combien elle percevait que bâtir un amour humain lui était impossible. Lorsqu’une personne très chère se maria, quelqu’un l’entendit dire en pleurant : « Je ne connaitrai jamais cet amour » et combien elle en souffrit.
À partir de cette prise de conscience, l’amour de Jésus, l’amour de Dieu commença à prendre la première place. Elle voulut apprendre à prier. Dans sa dernière année, elle se levait la nuit pour adorer. « Je suis accrochée à la chapelle » dira-t-elle. L’intercession avait une grande place dans sa vie spirituelle et elle y était très fidèle pour ceux qu’elle avait choisi de porter : le conseil de la Communauté de l’Emmanuel par exemple. « Ma décision, c’est d’adorer Jésus » dira-t-elle en novembre 2013.
On l’a vu ainsi passer du besoin d’être aimée au don de soi.
Claire devenait Émérentienne.
Cette petite sainte martyre du début du 4e siècle fut la sœur de lait de sainte Agnès, toute discrète et effacée derrière elle. Sa fidélité à sa jeune maîtresse, elle l’esclave, l’amena à venir souvent pleurer sur sa tombe lorsqu’Agnès fut martyrisée. La haine des païens devant cette foi qui s’exprimait publiquement lapida cette petite fille.
Symbole du bien discrètement fait, semant le parfum de la joie là où elle passait, Émérentienne éclaire notre Claire qui savait trouver les petits gestes qui consolaient les personnes. Elle était guérissante car elle était sans jugement, et si elle vous disait ce qu’elle pensait, c’était avec gentillesse. Son intuition pour déceler les souffrances cachées surprenait souvent son entourage.
Sa sainte préférée était Bernadette Soubirous. Elle se passait en boucle la deuxième partie du film de Delannoy qui montre sa passion. Bernadette disait : « Si la Sainte Vierge m’a choisie, c’est parce que j’étais la plus ignorante. Si elle en avait trouvé une plus ignorante que moi, elle l’aurait choisie ». On devine la raison de l’attrait de Claire pour Bernadette, cette correspondance d’âme dans l’humilité très simple des petits.
Cela nous oriente vers la mission que Dieu a voulu pour Claire-Émérentienne. Une mission de formatrice. Dieu parle par les petits, il nous enseigne par les petits. Comment redevenir des enfants pour accéder au Royaume de Dieu si nous n’avons pas de formateurs qui montrent le chemin ? Claire fut une formatrice pour sa famille bien sûr. Interrogez ses frères et sœur … IIs vous diront des choses qu’ils ne veulent surtout pas oublier.
Cette attitude surtout si difficile pour les gens pressés que nous sommes. Elle était tout entière à la personne avec qui elle se trouvait, dans un don entier à elle. N’est-ce pas cela vraiment aimer ?
Et cette manière simple de percevoir les choses et les valeurs. Elle vous simplifiait, allant à I’essentiel. Un de ses frères avait cette image suggestive. Il la voyait comme l’homéopathe de l’essentiel : par petites touches toutes simples, elle vous enseignait, allant à l’essentiel.
Elle avait, comme dit Jacques, une mémoire juive, c’est à dire qu’elle rappelait avec une très grande fidélité les événements importants dans la vie de sa famille. Elle voulait qu’on en célèbre les anniversaires et, envoyant des mails collectifs de rappel, elle contribuait à garder unis ceux que la vie commençait à disperser.
C’est bien le don que Dieu fait à toutes les familles qui ont le courage de garder en leur sein un enfant marqué par un handicap mental.
Mais l’on peut dire aussi à présent qu’elle fut formatrice au service de l’Église du Christ qui est à Fréjus-Toulon. Vous savez son lien spécial avec les prêtres. Depuis des années, ils la voient à chaque célébration diocésaine au premier rang. Elle a développé un lien personnel avec beaucoup.
La dernière image de Claire au cœur de l’Église de Toulon nous fut donnée en la messe chrismale de cette année. Au moment de l’échange de la paix qui vient du Christ, on a vu Claire-Émérentienne descendre l’allée principale de la nef et la remonter en transmettant cette paix à tout le presbyterium rassemblé. Cela n’a-t-il pas du sens ? Qu’est-ce que Dieu voulait dire à l’Église qui est à Toulon, si entreprenante et placée en première ligne avec les risques que cela comporte ?
Oui, elle avait une place unique dans cette Église, souvent près de l’évêque qu’elle affectionnait, le docteur de la foi, et à côté de lui, peut-être le docteur du chemin que Dieu veut que nous prenions.
Formatrice ? Oui, incontestablement. Au moment de l’adoption, Jacques et Marie-Hélène, sans aucunement se concerter, reçurent la même parole biblique qu’ils mirent en exergue le jour du baptême de Claire : « La pierre rejetée des bâtisseurs est devenue la pierre d’angle ». Qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende.
Faisons attention à nous, car l’ultime signification de sa vie nous vient du temps liturgique où le Seigneur l’a rappelée. C’est vers la fin du temps pascal, au moment du départ de Jésus. Il dit à ses apôtres : « Je m’en vais maintenant… et parce que je vous ai parlé ainsi, votre cœur est plein de tristesse. C’est votre intérêt que je m’en aille, sinon I’Esprit ne viendra pas à vous… »
Il semble qu’elle nous quitte à un moment où elle atteint une certaine plénitude humaine et spirituelle. Elle aurait ainsi atteint le but, accompli sa vie.
Comme le fruit du départ de Jésus est la réception intérieure de l’Esprit de Jésus, le départ de Claire-Émérentienne sera forcément, pour qui sera attentif, la prise de conscience et l’accueil de la part d’esprit qu’elle portait : la joie, le combat pour donner la première place à Dieu, l’amour de l’Église, la qualité de sa présence, sa tendresse donnée à tous indistinctement.
Une petite anecdote surprenante et magnifique : à sept ans, lorsqu’elle monta à cheval pour la première fois, la monture s’affola et partit au galop; elle s’est penchée et lui a parlé aux oreilles et le cheval se calma. Dans vos moments d’affolement intérieur, peut-être, si vous le souhaitez, parlera-t-elle à vos oreilles pour vous indiquer le chemin de la paix.
Dieu nous a bénis par elle, bénissons-nous les uns les autres.