Mot d’accueil de Jacques

Mot d’accueil de son Papa, Jacques Fichefeux, lors de la messe d’au revoir du vendredi 30 mai 2014, dans l’église Saint-Joseph du Pont du Las, à Toulon.

Invitation aux noces du ciel

Nous sommes tous dans une douleur profonde et une stupeur devant ce départ si soudain de Claire. Nous entendons sa voix qui disait, quand elle voyait une situation douloureuse, tendue : « C’est pas grave». Non pas pour minimiser mais plutôt pour consoler.
Cette douleur, nous, ses parents, sa sœur, ses frères, belles sœurs et beaux frères, ses neveux, la vivons intensément et pourtant nous avons voulu être en tenue de fête.
En effet, Claire a assisté avec joie à tous les mariages de ses frères et à celui de sa sœur. Elle a tenu à faire un discours à chacun. C’était pour elle un temps d’une intensité extrême car rien n’avait plus d’importance pour elle que les relations, rencontrer des personnes de sa famille, des amis, à qui elle donnait sans compter tout son amour et sa joie. Mais ces très belles fêtes étaient aussi pour elle un déchirement intérieur qu’elle a exprimé le jour du mariage de Marie, où elle n’a pas pu faire son discours mais a dit tout bas: « Jamais je ne connaîtrai un tel amour » !
Eh bien, Claire, aujourd’hui tu as connu cet amour. Discrètement, au cœur de la nuit, tu as
rencontré Celui que tu désirais tant, d’un amour immense : Jésus.

C’est pour cela que, même plongés dans une douleur effrayante, nous avons tenu à vivre ce jour comme celui des noces de Claire. Elle a droit à sa fête. Cette robe, aux couleurs vives de tournesols, posée sur son cercueil, en est le signe. Elle l’avait achetée quelques jours avant, à Paris, avec sa marraine. C’est la dernière image que nous, ses frères et sœurs membres de la Communauté de l’Emmanuel, gardons d’elle : une petite jeune femme virevoltante dans cette si belle robe, rayonnante de joie et d’amour, un sourire immense sur le visage, lors de notre dernier week-end avec elle.
Et sur cette robe est posée la petite Bible où elle lisait avec fidélité et attention, depuis quelques années, la Parole de son Seigneur.

Claire est entrée dans notre vie alors qu’elle n’avait que neuf mois. Une petite boule humaine de 2 kg 600, recroquevillée sur elle-même, toute ridée et n’ayant qu’un moyen d’expression : pleurer les yeux fermés. Abandonnée, elle n’avait connu que les soins habituels d’une clinique et l’alimentation par perfusion. Avec sa sœur et ses frères, nous l’avons accueillie comme un don de Dieu, et nous avons essayé de remplacer la perfusion par I’effusion d’amour, de tendresse.
Comme une fleur qui retrouve sa fraîcheur, elle s’est ouverte, les rides, ou les rayures comme disaient ses jeunes frères Bruno et Jean, se sont enfuies, le rire a jailli et notre Claire s’est épanouie.
Avec beaucoup de courage et de ténacité, elle a décidé de vivre et de prendre sa place dans la vie avec son handicap.
Je voudrais ici dire un très grand merci à tous ceux qui, avec nous, l’ont accompagnée dans ce combat. Les enseignants des classes de Sainte-Philomène, de la CLIS Jean XXIIl, de l’UPl et ULIS de Jeanne d’Arc. Les soignants, la Fondation Jérôme-Lejeune et toutes les associations éducatives, sportives, culturelles du réseau de la famille des personnes trisomiques qui ont contribué à son épanouissement.
Un grand merci, enfin, à la Marine Nationale et au personnel de I’Arsenal qui lui ont permis de prendre pleinement sa place dans la société et de pouvoir essayer de servir avec ses moyens. Il ne s’agit pas de nous centrer sur Claire, mais de nous mettre à son pas et d’avancer avec elle vers Jésus.

Elle a fait ce chemin avec un caractère très enjoué, mais aussi avec de grandes luttes intérieures, des repliements, des découragements. Et toujours elle prenait sur elle pour repartir. J’ai aujourd’hui conscience que nous avons beaucoup plus reçu que donné dans ce chemin parcouru ensemble.

Personnellement, j’ai appris que le chemin de sainteté auquel nous sommes tous invités n’est pas un chemin de grandeurs, ni d’actes surhumains. Mais c’est la fidélité opiniâtre d’avancer, de ne pas s’arrêter, de se relever après chaque échec. Claire n’a jamais cessé de vouloir apprendre. Le week-end dernier, elle demandait à une sœur de Communauté qui joue du violon de lui apprendre et le soir, elle voulait acheter un violon.
En tant que père, j’ai, grâce à elle, découvert combien Dieu est pour chacun de nous un Père.
Très souvent, quand je m’absentais, Claire m’envoyait un petit message par mail ou téléphone pour me dire « Papa, tu me manques »; et quand je revenais, elle se précipitait dans mes bras en criant « Papa, comme tu m’as manqué !». Et parfois elle disait cela alors que je n’avais quitté la maison que quelques heures. Je trouvais qu’elle exagérait. Et pourtant, cela se répétait souvent et même de plus en plus. Et j’ai peu à peu compris que ce besoin d’amour de son père était pour moi signe du désir d’amour qui doit habiter mon cœur vis à vis de Dieu. Je dois avoir cette même simplicité de dire à Dieu « Combien tu me manques ! » et ce à tous les instants.
Nous tous, ici, nous avons expérimenté cet amour inconditionnel de Claire pour tous ceux qu’elle approchait. Nos frères prêtres ont été embrassés, serrés et ils ont entendu Claire leur dire « Tu es mon préféré ! ». Mais pas qu’eux, tant d’autres ont connu cela.
Je me souviens de cette personne âgée, dans la maison de retraite de sa grand-mère, qui était seule, à l’écart, défigurée dans son corps par la maladie et l’âge. Claire s’est avancée vers elle, I’a caressée avec une grande tendresse en lui disant « Comme tu es belle ». Tous ces gestes manifestaient non pas une élection humaine, un désir de séduire ou de posséder, mais un regard intérieur qui va au cœur et qui unit au lieu d’exclure. Divers écrits ou paroles de Claire exprimés durant ces six derniers mois, témoignent d’une montée spirituelle étonnante.
Nous ne comprenons toujours pas cette mort si subite, mais nous ne pouvons pas ignorer ce chemin qu’elle a parcouru, à sa mesure, jour après jour avec bonne volonté, dans sa fragilité, pour aller toujours plus haut dans sa rencontre avec le Seigneur.

Alors, Claire chérie, en ce jour de ta fête, de ta rencontre joyeuse et définitive avec notre Dieu que tu aimes tant, nous voulons te dire merci.
Merci pour tout ce que tu nous as donné à chaque instant : un amour inconditionnel et immense.
Merci pour toutes ces fois où, sentant une tension, une difficulté relationnelle entre deux membres de ta famille, ou même en dehors de ta famille, tu déploies toute ta tendresse pour les rapprocher et obtenir paix et réconciliation dans un grand éclat de rire. Merci pour tes bras si souvent tendus formant un pont pour réunir tes frères ou tes parents.
Merci pour ta mémoire du cœur qui te permet de retenir les dates importantes de tous ceux que tu aimes et de leur envoyer un petit mot, un sms, un mail, aux dates anniversaires.
Merci pour toutes ces visites régulières que tu fais aux personnes souffrantes que la vie met sur ton chemin.
Merci pour ton sourire, tes yeux ardents, le jour de ton départ pour Lourdes, et ta fierté de porter le béret des hospitaliers.
Merci pour ta spontanéité qui te permet de nous donner parfois une parole forte qui nous conduit à l’essentiel, face à notre vérité. Merci, car en faisant cela, tu ne juges pas mais tu aimes.
Merci pour ton humble simplicité qui te pousse à être toujours devant, au premier rang, non pour te montrer, mais parce que tu sais que Jésus a dit que c’est la place des pauvres et des petits, et, comme Zachée, tu veux le voir. Aide-nous à toujours faire honneur aux plus petits.
Merci, Claire, notre petite sœur de Communauté, de nous montrer à chaque instant que la priorité, c’est de faire connaître Jésus, et que le moyen privilégié pour cela, c’est d’aimer joyeusement l’autre. Toi qui désires tant fonder une famille, tu peux te réjouir en ce jour car nombreux seront les enfants de ta tendresse.
Merci tout simplement parce que tu es toujours là, tendue vers nous les bras ouverts et le cœur offert.
Toute eucharistie est un passage, une montée vers le Père, à la suite de Jésus-Christ qui s’offre pour nous. Cette eucharistie n’est pas pour Claire, mais plutôt, avec Claire, un passage vers Dieu, vers celui qui l’a prise, comme amie, comme fiancée et a reçu son offrande en la prenant auprès de Lui.